De l’irresponsabilité intellectuelle française aux attentats à Christchurch en Nouvelle-Zélande

En ce vendredi 15 mars 2019, en ce jour béni pour les musulmans, ce ne sont pas seulement ces derniers qui sont en deuil mais l’Humanité toute entière. 

Un double attentat terroriste visant des mosquées de la troisième plus grande ville de la Nouvelle-Zélande a fait 49 morts et plusieurs blessés en pleine prière du vendredi. Le principal terroriste a diffusé en direct la tuerie sur les réseaux sociaux. 

À 13h42 (heure locale), à Christchurch, ville de l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande, l’islamophobie a tué encore une fois. Après la mosquée de Québec, après la mosquée de Finsbury Park à Londres, la communauté musulmane compte, prie et pleure ses morts. 

Cependant, la particularité de cette attaque est qu’elle a été mise en exergue par le manifeste raciste que le principal terroriste a publié quelques heures avant de plonger la Nouvelle-Zélande dans le noir : il y affirme vouloir s’en prendre aux musulmans, et ce, depuis un voyage en France en 2017. 

Tout d’abord, cet abject tueur a nommé son manifeste « The Great Remplacement ». Cela ne va pas s’en rappeler la théorie d’extrême droit, développé par « l’intellectuel » français Renaud Camus. 

  • Qu’est-ce que le « grand remplacement » ?

Le grand remplacement donc, théorie française d’extrême droite, se base sur deux dimensions : 

En premier lieu, la dimension raciale selon laquelle la « race » blanche de peau serait « remplacée » par une immigration « extraeuropéenne ». Renaud Camus évoque, à ce propos, « un génocide par substitution, crime contre l’humanité du XXIème siècle » et de « seconde carrière d’Adolf Hitler : un premier génocide a tant embarrassé la langue et la pensée qu’elles n’offrent plus aucune défense contre un second. ». En d’autres termes (même si ces propos horribles se passent de toute exégèse), le second génocide serait celui dont seraient victimes « les blancs » en ce moment car, selon cette idéologie mortifère, la « race blanche » serait en train d’être exterminée par des « non-Européens ». Pour eux, pour être européen, il faut être blanc, chrétien, d’ancêtres européens. On voit que cette définition est très réductrice et obtuse. 

Ensuite, la dimension culturelle selon laquelle l’Islam serait en train de remplacer le « terreau culturel chrétien ». Sur ce second point, il s’agit tout simplement de la théorie du complot car selon l’écrivain, le « grand remplacement » serait voulu par le pouvoir politique et donc ne serait pas subi. 

Le grand remplacement est donc une théorie racialiste. Contrairement au racisme énonçant l’existence d’inégalité entre les Hommes selon leur appartenance ethnique, le racialisme s’applique à théoriser l’existence de races humaines : Renaud Camus estime « qu’il y a bel et bien des races humaines ». Cependant, l’écrivain préféré de l’extrême droite française ne prône pas pour autant la violence physique, il s’est fendu d’un tweet, après les attentats de Christchurch : « la violence peut être symbolique, emblématique. Elle ne peut être aveugle ou meurtrière. Frapper les esprits, pas les corps. »

  • Quel est le lien entre la théorie du « grand remplacement », la France et les attentats de Christchurch ? 

Le problème est que le principal assaillant des attaques des deux mosquées néo-zélandaises, se présentant comme un « Européen de cœur », a exprimé, le plus explicite au monde, son adhésion à la théorie du complot du « grand remplacement ». De plus, son testament idéologique est une compilation des théories conspirationnistes et islamophobes en vogue dans les milieux d’extrême droite à travers le monde. 

Dans ce texte, il justifie son geste par des éléments majeurs : « la balkanisation des États Unis » et l’élection présidentielle française de 2017.

En effet, le second tour de la Présidentielle de 2017, opposant Emmanuel Macron, actuel Président de la République, à Marine Le Pen, qui selon lui aurait pu agir contre l’immigration, et sa défaite, l’ont « désespéré » : « la possibilité d’une victoire par la candidate quasi nationaliste était au moins, pour moi, un signe que peut-être une solution politique était encore possible ». Cependant, la victoire d’Emmanuel Macron aurait changé son point de vue : « ma croyance en une solution démocratique a disparu ». 

De plus, il ajoute qu’un voyage en France lui a permis de prendre conscience du phénomène : il affirme avoir aperçu « l’invasion de la France par les non-blancs », se convaincant ainsi que « le grand remplacement était en marche ». En somme, son passage à l’acte a donc été, selon lui, « l’invasion de la France, le pessimisme des Français, la perte de culture et d’identité et la farce des solutions politiques proposées » et un investissement dans une mission de vengeance des soldats français tombés au combat lors de la Seconde Guerre mondiale pour lutter contre l’envahisseur allemand, « morts en vain puisque l’on permet aujourd’hui à d’autres envahisseurs de nous conquérir, sans broncher ».  

Donc, selon lui, « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase » a été de voir l’état de la France : « dans chaque ville française, dans chaque village, les envahisseurs sont là. Les Français étaient souvent en minorité », évoquant aussi « des Français seuls, sans enfant ou d’un âge avancé alors que les migrants étaient jeunes, pleins d’énergie et avec de grandes familles et beaucoup d’enfants. J’en avais assez vu. » 

Le choix de partir en France n’est pas anecdotique : la France est l’un des plus grands pays européens à appliquer la politique d’immigration après la Seconde Guerre mondiale, pour les besoins de la reconstruction du pays. La France est le pays européen où il y a la plus forte communauté musulmane. La France fait partie de grandes nations multiculturelles. C’est tout cela que dénonce Marine Le Pen, candidate en qui le terroriste a mis tous ses espoirs pour remporter l’élection présidentielle de 2017. Cette dernière se fend d’ajouter que cette société est la cause des attentats perpétrés en France en 2015.

Cette idéologie complotiste et totalement délictuelle a été soutenue par Jean-Marie Le Pen en 2014, déjà : « Les Noirs et les Arabes vont remplacer les Français « de souche », ils veulent saper la civilisation française, il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en rendre compte mais les élites nient la réalité ». En 2015, ce sera au tour de Michel Houellebecq de s’accaparer cette théorie dans son livre « Soumission ». Enfin, le plus grand délinquant intellectuel que la France n’ait jamais connu, Eric Zemmour, qui évoquait il y a peu « le grand remplacement des Français par les arabo-musulmans » dans l’Express, « se fait le propagandiste de cette idéologie potentiellement meurtrière » selon le journaliste et fondateur de Mediapart, Edwy Plenel. 

Les chemins les plus courts ne sont pas forcément ceux qui amènent à la bonne destination. Aujourd’hui, la responsabilité de nos intellectuels est indéniable : sous couvert de liberté d’expression, notion capitale et pierre angulaire de notre démocratie, leurs idées ont mené la violence. En somme, cette responsabilité est partagée : les médias français ont leur part de responsabilité, les Unes de journaux ainsi que l’invitation de ces pseudo-intellectuels continuant de déverser leur haine à des heures de grande écoute parlent d’eux-mêmes. Il suffit d’analyser le traitement médiatique de l’attaque terroriste qui a frappé la Nouvelle-Zélande : en France, on préfère parler « d’assaillant » ou « de tireur » mais de garder le terme « terroriste » pour les attaques perpétrées au nom d’une religion de paix. Alors, détrompez-vous, le terrorisme n’a pas de religion ni d’origine. 

L’illustration la plus frappante de la tournure détestable que prend notre pays est le fait qu’aucun dirigeant de la classe politique française n’ait eu à l’esprit que la Nouvelle-Zélande a été prise pour cible par un Australien, parce qu’elle représente la diversité, la gentillesse, la compassion et un refuge pour ceux qui en ont besoin, comme l’a signalé Jacinda Ardern, la Première ministre néo-zélandaise.

  • « Le pari du faire ensemble » comme seule réponse à la violence

Tout d’abord, en m’inspirant des faiseurs français de la lumière comme le comédien Yassine Belattar, le rappeur Médine, le journaliste Edwy Plenel, l’imam Mohamed Bajrafil, le prête Paul Chamaly, l’association de l’Union Juive française pour la Paix, je lance un appel à mes coreligionnaires : ne cédez pas à la panique, continuez à fréquenter les mosquées mais surtout, soyez Français à part entière car comme le dit Marwan Mohammed, Directeur exécutif du collectif contre l’Islamophobie en France « Nous (aussi) sommes la Nation ». L’amour que nous portons pour le Pays des Lumières et l’appartenance à la nation française n’a aucune contradiction avec notre foi, bien au contraire. Engagez-vous politiquement et dans le monde associatif, allez vers votre prochain car la solution et la seule réponse légitime à toute cette haine passe par la connaissance de soi et des autres, ce sont nos différences qui nous unissent et qui font de nous la France. 

Ensuite, je lance un appel à tous mes concitoyens français, quelle que soit leur origine sociale ou culturelle, quelle que soit leur religion et quelles que soient leurs idées politiques : je ne peux pas croire que ce pays que j’aime tant soit devenu le pôle intellectuel des islamophobes et des suprématistes. Comprenez que vos concitoyens français de confession musulmane sont une part entière de la Nation : ils sont autant touchés que vous quand la France est frappée par la barbarie et ils aiment ce pays autant que vous l’aimez. De plus, les grands-parents de la plupart de ces Français ont permis la Libération de la France durant la Seconde Guerre mondiale, les parents de ces Français ont permis la reconstruction de la France et ces Français ne demandent qu’une chose, aujourd’hui : d’être considéré comme Français à part entière, sans les réduire directement à leur origine ou leur appartenance religieuse. 

Enfin, je terminerai par les paroles de Malcolm X, qui résume le fond de ma pensée : « L’ignorance d’autrui est ce qui a rendu impossible l’unité jusqu’à aujourd’hui. L’illumination crée la compréhension, la compréhension crée l’amour, l’amour crée la patience, la patience crée l’unité. Il est temps d’outrepasser nos différences et réaliser qu’il est dans notre intérêt de voir que nous avons les mêmes problèmes. Que l’on soit chrétien, musulman, nationaliste, agnostique, athée, il nous faut d’abord apprendre à oublier nos différences. »

Bilal Hartit

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