La Pologne peut-elle jouer un rôle majeur dans la construction européenne ?

            Alors que l’Union Européenne fait face depuis quelques années à des problèmes persistants liés à  la montée des populismes, à l’euroscepticisme et à la situation économique qui ne s’améliore guère, la question de son orientation reste en suspens. Faut-il accentuer l’intégration ? Faut-il revenir à une organisation purement économique ? Cette situation profie cependant à de nouveaux Etats qui restaient en retrait dans cette construction. En tête arrive la République de Pologne qui continue sa montée en puissance en Europe. Désormais, il est presque certain que les années à venir vont apporter des réponses à la future construction européenne. Reste à savoir la direction qu’elle prendra et pourquoi la Pologne pourra y jouer un rôle capital

Une politique étrangère façonnée par une Histoire tumultueuse

            L’Histoire de la Pologne a des similitudes certaines avec plusieurs Etats d’Europe centrale et de l’est, alternant apogée et déclin. Sa création remonte au Xème siècle sous le règne de Miesko 1er qui fonde la dynastie Piast. C’est le début du royaume de Pologne. Néanmoins, deux cents ans plus tard, celui-ci sera démembré entre plusieurs duchés, l’autorité centrale n’ayant plus assez de pouvoir, schéma classique que l’on retrouvera un peu partout en Europe durant la période du Moyen-âge. En 1385, la première Union entre la Pologne et la Lituanie est actée par la dynastie lituanienne des Jagellon. De cette union naîtra la République des deux nations fondée en 1569 par le traité de Lublin. C’est à cette époque que la Pologne connaîtra son apogée appelée aussi Première République polonaise. Cependant, après un longue période d’invasions russes, ottomanes et autrichiennes, la Pologne disparaît en 1795 après les partages successifs de son territoire. Si elle ressuscitera brièvement lors de la période napoléonienne en Duché de Varsovie, elle sera par la suite annexée à l’Empire russe. 

            Au cours du XXème siècle, la deuxième République de Pologne est fondée après la Première guerre mondiale. Néanmoins, à la suite de l’invasion combinée du Reich allemand et de l’URSS en 1939, la Pologne est partagée entre ces deux Etats. Finalement, elle deviendra une « république populaire » en 1952. Durant cette période, ses frontières seront poussées à l’ouest, l’est ayant été annexé par les soviétiques et reconnu par les Alliés. C’est en 1989 que sera fondée la Troisième République de Pologne au sein des frontières qu’elle occupe actuellement. En 1999 elle rejoindra l’OTAN puis adhère à l’Union Européenne en 2004.

            L’histoire tumultueuse de La Pologne aurait pu engendrer  sa disparition totale en tant qu’entité. Son Histoire est l’un des piliers de sa politique actuelle et est trop souvent oublié par les différents acteurs, qu’ils soient étatiques ou non[1]. Aujourd’hui, la Pologne représente l’un des moteurs de l’Europe, que ce soit d’un point de vue purement stratégique avec sa situation géographique, qu’économique avec sa croissance qui se place dans le haut du classement dans l’Union. Si elle est souvent présentée comme anti-européenne par les médias occidentaux, voire de puissance conservatrice, la réalité est beaucoup plus complexe. En effet, la Pologne pourrait avoir un rôle à jouer extrêmement important dans la future construction européenne, reste à savoir dans quelle mesure.

La fin de la prééminence allemande en Europe de l’est

            Pour comprendre le nouveau poids que peut avoir la Pologne en Europe, il est nécessaire de revenir sur un acteur majeur en Europe centrale et de l’est à savoir l’Allemagne. En effet, depuis la création du Saint-Empire romain germanique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a toujours eu une politique tournée vers l’est. A l’origine, la politique du Drang nach Osten autrement dit une politique de colonisation par des peuplades germaniques en Europe de l’est. Ainsi, on retrouvait de nombreuses minorités allemandes en Europe ce qui posera notamment problème dans la résolution de la Première guerre mondiale. Ce mouvement sera amplifié lorsque des thèses géopolitiques allemandes verront le jour durant l’entre-deux-guerres à savoir celle sur « l’espace vital » qui prévoyait que l’Allemagne devait jouer un rôle central en Europe en créant un Empire à l’est, devenant ainsi la première puissance continentale[2]. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui explique l’offensive allemande face à l’URSS en 1941. L’idée n’était pas d’annexer l’Europe de l’ouest mais au contraire d’annexer l’Europe de l’est déjà peuplée par de nombreuses minorités allemandes

            Cette politique va connaître une fin assez tragique avec la dégermanisation de l’Europe de l’est, de 1945 à 1948. Sujet plutôt inconnu, la dégermanisation forcée verra le déplacement de millions d’allemands de l’est vers l’Allemagne, chassés ou tués par les populations locales encouragés par Staline. De fait, en 1948, il n’y a pratiquement plus de population germanique à l’est[3].

            La Guerre Froide a ensuite fait son effet. L’Europe coupée en deux, l’influence allemande a diminué, bien que la République Démocratique d’Allemagne faisait partie du bloc de l’est[4].

            Cependant, dans les années 1970 et notamment en Pologne, se posait la question d’une réconciliation avec le germanisme face au slavisme russe. Finalement, c’est à la fin de la Guerre Froide et à la réunification de l’Allemagne que ces liens renaîtront cependant sous une forme plutôt économique, la République Fédérale d’Allemagne essayant de jouer le rôle du « grand frère » avec ses « petits frères » de l’est. Néanmoins, même aujourd’hui, l’influence germaniste ne peut être oubliée, en témoigne l’architecture des bâtiments ou même l’organisation des régimes politiques à l’est qui possèdent souvent de nombreux points communs avec les institutions allemandes. 

            Alors même que l’Allemagne semblait renouer avec son passé, les évènements récents ont montré que la Guerre Froide l’avait fait pencher à l’ouest, en témoigne l’opposition farouche des Etats de l’est, Pologne, Hongrie et Slovaquie en tête, vis-à-vis de la question migratoire de 2015. C’est dans ce climat-là que la Pologne a vu son rôle sur la scène européenne devenir plus prépondérant. La Pologne pourrait représenter une troisième voie pour l’Europe de l’est, coincée entre influence russe et germanique, surtout que la Russie et l’Allemagne sont en proie à des difficultés économiques et politiques.

La Pologne peut-elle constituer une « troisième force » entre l’Allemagne et la Russie ?

            La question du rôle de la Pologne dans la construction européenne est primordiale, car si la question allemande a marqué la Guerre Froide en Europe, son dénouement a été sa réunification puis la chute du bloc de l’est. En découlera l’entrée dans l’Union de nombreux pays de l’est et l’adhésion à l’OTAN. Or, aujourd’hui, la Pologne est sans aucun doute le pays d’Europe de l’est (tous les Etats qui se situent entre l’Allemagne et la Russie) possédant le plus d’atouts. En effet, en 2017, elle se situait à 4,6% de croissance, son taux le plus élevé depuis 2011 (5%) alors même qu’elle n’a pas réellement subi la crise des Subprimes qui aura été beaucoup plus violente dans de nombreux pays européens, surtout à l’ouest. Du point de vue de l’ethnie et de la religion, la Pologne est un Etat composé à 97% de slaves et de chrétiens ce qui montre une homogénéité qui pourrait passer pour une force mais qui en réalité présente quelques faiblesses (voir problème démographique). Cependant, la Pologne reste l’Etat le plus peuplé et le plus important de la région (Allemagne, Russie et Ukraine non compris). De plus, la chute du bloc soviétique et plus particulièrement la fin de la Yougoslavie avait ravivé de nombreuses tensions en Europe de l’est, en témoigne la guerre des Balkans. Ce phénomène s’explique par deux variables : la première est liée à « l’occupation » soviétique qui avait mis de côté le nationalisme et la religion, la seconde est plutôt historique et remonte à la volonté des nationalités de posséder leurs propres Etats après des siècles passés dans des Empires ou sous contrôle d’une autre entité. Or, la Pologne a plutôt été épargnée par ses regains de tensions puisqu’elle n’a pas réellement de problème vis-à-vis de ses frontières héritées de la Seconde guerre mondiale et de son déplacement sur la ligne Oder-Neisse. Une seule question territoriale est source de tension : il s’agit de l’enclave russe de Kaliningrad située au nord de la Pologne sur la côté de la mer Baltique. C’est d’ailleurs l’un des nombreux points de friction qui anime les relations entre Varsovie et Moscou, notamment avec la présence de vecteur capable d’envoyer des engins nucléaires.

            Du côté purement centre-européen, le groupe de Visegrad est une bonne illustration du nouveau rôle de la Pologne. Ce groupe réunit la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque ainsi que la Slovaquie. Si sa portée est symbolique, son rôle durant la crise migratoire n’est pas à nier. En effet, si la Hongrie et la Slovaquie en tête ont pu s’opposer à la résolution portant sur les quotas de migrants c’est en grande partie parce que la Pologne était derrière ces Etats. 

            Dernière initiative en date, la création de l’Initiative des Trois Mers (ITM) qui réunit douze Etats d’Europe centrale et de l’est. Comme l’a annoncé le président polonais Andrzej Duda en 2016, cette initiative veut « promouvoir l’unité de l’Europe et sa cohésion ». Encore une fois, l’Union Européenne et l’OTAN restent les deux organisations internationales très présente dans la région, mais cette volonté de créer une coopération entre les Etats est-européen ne doit pas être effacée, et là-encore, l’Allemagne n’y est pas présente.

            Si l’on se tourne vers l’Union et plus particulièrement vers l’Europe de l’Ouest, la Pologne a un rôle qui reste beaucoup plus en retrait mais qui n’est pas à négliger. En effet, il existe des diasporas polonaises assez importantes en France (300 000), en Allemagne et en Grande-Bretagne. Cependant, son rôle est plutôt économique puisque les cinq pays où elle exporte le plus font partis de l’Union à savoir : Allemagne (26,8%), Royaume-Uni (6,7%), République Tchèque (6,4%), France (5,5%). Du côté des importations, on retrouve l’Allemagne en première position avec 22,5%. 

            La Pologne reste donc un Etat avec une balance commerciale positive (4% du PIB en 2017) qui pratique le commerce principalement avec les pays membres de l’Union Européenne. Néanmoins, depuis 2015 avec son gouvernement au main du Parti Droit et Justice (PIS), la tendance est de constater que la Pologne est un pays profondément eurosceptique. Cependant, la réalité est plus complexe car quitter l’Union serait un suicide économique pour la Pologne comme cela vient d’être démontré[5]. En réalité, les causes de son euroscepticisme sont à trouver dans la vision souverainiste et sociale des pays d’Europe de l’est. Après avoir passé près de cinquante ans sous la domination soviétique, le regain de nationalisme qui est observé en Hongrie, en Pologne ou en Slovaquie n’a pas la même signification que des mouvements antieuropéens repérés en Europe de l’ouest. En effet, ces Etats remettent plutôt en cause la vision libérale sociétale (et non économique) de l’Union et craignent que Bruxelles devienne un futur Moscou[6]. De plus, pour la plupart des pays de l’est, leur défense est assurée par l’OTAN et donc par les américains. Ces derniers entretiennent des relations tendues avec l’Union notamment après l’élection du Président Donald Trump qui favorise le bilatéralisme au multilatéralisme, stratégie visant à diviser les pays de l’Union, concurrents économiques directs des américains. Cependant, il serait mal avisé de ne donner tort qu’à l’Union qui possède un droit et des traités propres qui ont été acceptés par chaque Etat membre signataire de ces mêmes traités. Ainsi, sur la question migratoire, le droit européen n’a pas été respecté par la Hongrie, la Slovaquie et même la Pologne. La Pologne a d’ailleurs fait l’objet de la procédure de l’article 7 du TUE suite à la réforme controversée de la justice. Néanmoins, depuis le recul du PIS sur sa réforme de la justice le jeu semble se calmer avec Bruxelles. 

            Un autre point de discorde semble toutefois se former avec l’Union et la Pologne : la question de la défense européenne. En effet, les récents évènements liés au retrait de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien par les Etats-Unis ont vu la Pologne si ce n’est soutenir au moins ne pas condamner l’initiative américaine, alors que la plupart des Etats de l’Union Européenne ont regretté cette décision. Cet épisode marque le rapprochement de plus en plus clair de la Pologne avec les Etats-Unis. La Pologne est d’ailleurs l’un des seuls Etats à respecter la fameuse règle des 3% de dépenses du PIB en matière de défense imposée par l’OTAN. Elle fait d’ailleurs les yeux doux aux Etats-Unis afin que ceux-ci déplacent des troupes actuellement en Allemagne jusqu’en Pologne et serait prêt à payer 2 milliards d’euros à cette fin. Autre point important, la Pologne a fait savoir qu’elle n’était pas favorable à la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), elle a cependant rejoint la Coopération Structurée Permanente (CSP)[7].

            Ce rapprochement doit être compris comme l’un des particularismes de la Pologne en Europe centrale et de l’est. En effet, si l’actualité a vu plusieurs chefs d’Etats se rapprocher de la Russie de Vladimir Poutine[8], la Pologne ne pourra sans doute jamais franchir ce cap. D’ailleurs, alors que la France en tête semblait vouloir se rapprocher de la Russie lors des années Sarkozy, les évènements en Crimée ont fait que de nombreux pays ont orchestré un rétropédalage surtout à l’Ouest. Néanmoins, le projet North Steam 2 qui relie directement la Russie à l’Allemagne par gazoduc montre à quel point il est difficile de couper toute relation avec la Russie bien que le livre vert de l’Union (énergie) visait à réduire la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. 

            C’est dans ce cadre énergétique que la Pologne a beaucoup à perdre. En effet, historiquement, la Pologne et la Russie ne pourront sans doute pas être dans le même camp et resteront rivales à minima. Pourtant, la Pologne, comme de nombreux pays de l’est est dépendante du gaz russe et dispose d’un contrat avec Gazprom la liant jusqu’en 2022. L’un des premiers objectifs de la Pologne serait donc de diversifier ses approvisionnements en gaz et en énergie. C’est dans ce cadre que la Pologne développe son réseau nucléaire civil qui devrait voir le jour d’ici 2033, ainsi que sa production et son extraction du gaz de schiste.

            Au niveau des difficultés propres à la Pologne, l’évolution de la démographie ne va pas tarder à poser problème, puisque la mortalité y est plus forte que la natalité. De plus, l’économie polonaise, qui repose sur son industrie pourrait être affectée par la baisse de la population active mais aussi par l’arrivée de nouveaux concurrents comme la Roumanie ou la Bulgarie, les estimations montrant que la Pologne enregistrera une perte de croissance dans les années à venir

            Les récents évènements comme le rétropédalage de la Diète sur la réforme de la justice ou l’assassinat du maire de Gdansk montrent que l’avenir européen de la Pologne est incertain. En effet, il est difficile d’imaginer que la Pologne puisse quitter l’Union Européenne mais beaucoup plus envisageable qu’elle soit à la tête d’une nouvelle impulsion au sein même de celle-ci. La Pologne pourrait être la nouvelle passerelle qui réconcilierait Europe de l’est et Europe de l’ouest comme l’Allemagne tenta de le faire dans les années 90. Son opposition à la Russie est l’un de ses piliers de politique étrangère et se rapprocher de l’Europe ou des Etats-Unis semble la condition sine qua none de la réussite de cet objectif.

            Simple cheval de Troie américain au sein de l’Union Européenne ou futur leader d’un bloc européen ? Cette question est aujourd’hui en suspens et les élections européennes de mai 2019 devront (ou devraient ?) sans doute apporter une réponse. 

Baptiste Ollagnon


[1] On parle souvent de la Pologne ou du moins de son gouvernement comme étant populiste et conservateur sans en chercher les possibles causes.

[2] Ratzel, Haushofer.

[3]  Il reste toutefois des minorités allemandes cependant beaucoup moins nombreuses qu’avant 1945.

[4] La RFA restait la plus forte des deux entités allemandes et c’est d’ailleurs elle qui absorbera la RDA à la chute du mur. De plus, la RDA n’était pas vue d’un bon œil par les républiques populaires qui craignaient un « revanchisme germanique ».

[5] Quitter l’Union aurait des conséquences beaucoup plus désastreuses comparé au Brexit car la Grande-Bretagne dispose d’une économie à échelle mondiale.

[6] L’Allemagne étant l’acteur majeur de l’Union Européenne, elle est vue comme l’instigateur de sa politique.

[7] Elle a cependant émis des réserves et sa participation pourrait être synonyme de blocage.

[8] Viktor Orban, Andrej Babiš…

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