Selon la définition de l’OTAN, les forces spéciales (FS) mènent des opérations spéciales désignées comme « des activités militaires menées par des forces spécialement désignées, organisées, entraînées et équipées, utilisant des techniques opérationnelles et desmodes d’action inhabituels aux forces conventionnelles […] pour atteindre des objectifs politiques, militaires, psychologiques ou économiques »1. En France, l’importance du rôle des forces spéciales est tiré des enseignements de la Guerre du Golfe où pendant les opérations contre l’Irak les unités spéciales françaises, manquant de structure, n’ont pas été utilisées à leur pleine mesure contrairement à celles des homologues américains et britanniques. C’est cette prise de conscience qui amène le ministère de la Défense à leur donner une identité propre2 en créant le Commandement des Opérations Spéciales (COS) qui est chargé de commander les forces spéciales depuis son état-major sur la Base Aérienne 107 de Villacoublay.
Quelles missions rendent les forces spéciales indispensables aujourd’hui ?
Les FS réalisent des Opérations Spéciales qui produisent ; des effets directs : comme par exemple le commandement ponctuel d’un site (Opération Eldorado Canyon contre Khadhafi le 15 avril 1986); ou des effets de « leviers » qui permet de multiplier les effets de l’action conventionnelle en l’appuyant par l’action non-conventionnelle (Opération Serval)3. Aujourd’hui les forces spéciales s’imposent comme l’acteur impérieusement indispensable dans différents domaines : le contre- terrorisme, le renseignement en profondeur, l’ouverture de théâtres d’opérations…
La réponse idoine aux guerres asymétriques
Face aux organisations transnationales criminelles, terroristes ou narco-trafiquantes on se retrouve face à l’impossibilité d’affronter une armée conventionnelle dans un conflit classique. La guerre dite asymétrique devient ainsi le théâtre d’opération du 21ème siècle avec ses caractéristiques propres :
- Désuétude de la distinction civil/militaire en uniforme;
- Fin des guerres d’occupation territoriale, on privilégie un fort effectif aérien ainsi qu’un faible effectif terrestre plutôt appuyé par des effectifs locaux;
- Multiplication des théâtres d’opérations (le désert, la ville, le cyber-espace…);
- Besoin d’une maîtrise du degré de violence employé pour les armées : on ne veut plus détruire le potentiel militaire ou économique de sonadversaire on veut plutôt le dissuader d’en faire usage;
- Poids psychologique et politique de l’opinion public dans l’engagement des forces armées en opérations extérieures4.
Ainsi on comprend l’attrait des forces spéciales pour ce type d’opérations qui s’imposent comme la solution parfaite aux contraintes qu’imposent la guerre asymétriques aux forces conventionnelles :
- L’exposition médiatique est faible et modulable, le personnel reste inconnu du grand public;
- Prise de risque politique minimisée puisque les opérations sont secrètes, ce qui rend le désengagement également plus aisé;
- L’intervention des forces spéciales peut s’effectuer en amont de l’éclatement d’une crise (actions de renseignement, dissuasion, actionspsychologiques…);
- Effectif minimal ainsi optimisation des coûts par rapport aux rendus stratégiques (petit effectif pour de grands effets);5
- Personnel surentrainés dans diverses disciplines (nage de combat, parachutisme, langues…);
- Force de frappe rapide et autonome en milieu hostile.
Les premiers acteurs de la numérisation de l’espace de bataille
Une grande partie du succès des opérations menées par les forces spéciales est à attribuer à leur supériorité technologique. Encouragés à répondre différemment à des problèmes stratégiques militaires, les forces spéciales sont dans la prospective technologique permanente (voir le système Rakoon conçu par un adjudant du 13 RDP 6). Le salon SOFINS organisé au camp de Souge tous les ans depuis 2015 permet aux forces spéciales de dialoguer avec des start-up, PME ou grands groupes dans la modernisation des techniques de déplacement, de renseignement ou de combat (comme la présentation du gilet par-balles de trois millimètres d’épaisseur7). Le Général Grégoire de Saint-Quentin déclara lors de la création du SOFINS : « La numérisation envahit aujourd’hui l’espace de bataille. Tout est informatisé. Ce qui m’intéresse, comme chef du COS, c’est que les données soient distribuées à la bonne personne au bon moment et au bon endroit. »8 . Les forces spéciales sont donc les béta-testeurs des technologies qui seront employées dans les opérations militaires de demain. En revanche même si en tant qu’acteurs de l’innovation militaire les Forces Spéciales bénéficient d’un régime dérogatoire réduisant le délai d’acquisition classique de certains matériels militaires, ce régime reste d’exception.
Une force de rayonnement
A l’occasion de l’envoi des forces spéciales en Afghanistan afin de soutenir les Américains (Opération Ares), le Président français Jacques Chirac aurait dit à son homologue : « je vous prête ma Ferrari »9. Avoir des forces spéciales compétentes est une garantie d’un certain prestige et d’une certaine reconnaissance en terme de rayonnement militaire. Les forces spéciales assurent également la formation des soldats de pays alliés notamment dans le contre-terrorisme (exemple en Irak aujourd’hui). On peut donc leur reconnaitre une certaine force en tant qu’outil diplomatique.
Faut-il aller plus loin dans le renforcement des forces spéciales ?
La loi de Programmation Militaire
La loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 annonce une augmentation progressive des forces spéciales de 1000 hommes, soit 25 % de l’effectif actuel (« COS+1000 »). Le Sénat dans son rapport bipartisan sur le renforcement des forces spéciales met en garde contre une augmentation des effectifs humains plutôt que de « densifier l’existant »10 pour ne pas perdre en qualitatif d’après les mots du général Grégoire de Saint-Quentin chef du COS. Ainsi la tendance politique va vers un renforcement des forces spéciales du fait de la nécessité de leur emploi dans les opérations d’aujourd’hui, mais cet accroissement des moyens est attendu plus au niveau logistique qu’humain (le COS ne possède pas ses propres hélicoptères ce qui pose une problématique d’indépendance opérationnelle importante).
Le danger d’institutionnaliser une originalité militaire
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si l’on peut rationnaliser le fonctionnement des forces spéciales afin d’opérer un rapprochement avec les forces conventionnelles et de les dissocier des opérations clandestines (sous l’empire du SA de la DGSE). En revanche en devenant une armée comme les autres, avec des règlements et des procédures spécifiques, les forces spéciales courent le risque de perdre ce qui fait leur intérêt : la souplesse et l’inventivité.11 Les forces spéciales sont ainsi nécessaires et indispensables aux opérations d’aujourd’hui mais elles sont un appui aux forces conventionnelles et ne peuvent en devenir le substitut systématique.
« Nos Forces spéciales sont absolument nécessaires au succès de nos armes. Préservons-les en respectant leur spécificité, dont leur rareté »
Général Vincent Desportes12
Alexia Carratala
1 Document AAAP-6 de l’OTAN, 2003
2 DENECE E. Forces Spéciales L’Avenir de la Guerre ? Editions du Rocher, 2011
3 DESPORTES Vincent Général (2S). “Les forces spéciales ? Nécessaires et insuffisantes”, Tribune n°514
4 Denécé E. Histoire Secrète des Forces Spéciales de 1939 à nos jours. Nouveau Monde Poche, 2016.
5 DESPORTES Vincent Général (2S). “Les forces spéciales ? Nécessaires et insuffisantes”, Tribune n°514
6 Papaemmanuel A. & RECALDE M., Les forces spéciales : mal nécessaire ou impérieuse obligation ?, La Tribune, 23/03/2018
7 AFP. Les forces spéciales “geeks” des armées, 28/03/2017
8 Rosso R., Défense “Les forces spéciales sont adaptées aux menaces émergentes”, L’express, 16/04/2015.
9 Sénat, Le renforcement des forces spéciales françaises, avenir de la guerre ou conséquence de la crise ?, Rapport d’information, commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, par MM. Daniel Reiner, Jacques Gautier et Gérard Larcher, 13/04/2014
10 Rosso R., Défense “Les forces spéciales sont adaptées aux menaces émergentes”, L’express, 16/04/2015.
11 Merchet J-D. Pour en finir avec les forces spéciales. L’Opinion, 01/02/2016
12 DESPORTES Vincent Général (2S). “Les forces spéciales ? Nécessaires et insuffisantes”, Tribune n°514
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