Moins de 48h après le retrait des Etats Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien le 8 mai 2018, l’armée israélienne a répondu à des tirs attribués à Téhéran par des raids meurtriers contre des cibles iraniennes en Syrie. La Syrie apparait depuis 2011 comme un pays en conflit où se concentre des enjeux diplomatiques, militaires, économiques et stratégiques où s’affrontent pays occidentaux et du Proche-Orient recherchant une autorité sur le monde arabe. Dans la sphère internationale, la crainte d’un nouvel embrasement suite à ces escalades sur le territoire syrien pousse à nous demander pourquoi la Syrie est la place de ce conflit israelo-iranien ?
Le rôle iranien en Syrie
L’une des raisons de la présence de l’Iran en Syrie est d’abord l’opposition à la ligue Arabe et notamment à l’Arabie Saoudite qui s’est placée dans le conflit syrien comme le leader du monde arabe sunnite et qui voit en Téhéran une volonté d’assoir son autorité sur la région. La Syrie s’est quant à elle constituée comme le centre de « l’arc de cercle chiite ». Il y’a donc une nécessité pour l’Etat iranien de sécuriser le pouvoir de Bachar Al-Assad pour que cet arc de cercle soit préservé, car si le pouvoir de Bachar chute tout l’arc de cercle est en péril. Cette protection gouvernementale doit donc passer par un ensemble de soutien rhétorique et moral suivi de conseil en termes de guerre.
Le soutien politique et diplomatique semble le plus important sur la sphère internationale. En effet Téhéran a multiplié les rencontres avec Damas, notifié à plusieurs reprises son soutien à toutes les réformes et plans de paix et appuyé l’esprit légitime et démocratique du pouvoir du gouvernement syrien. Dans un second temps la question du soutien militaire s’explique par le fait que Damas exerce une certaine méfiance à l’égard de ses armées. Bien que Téhéran soit le principal allié de Damas, l’Iran compte aussi sur la milice libanaise du Hezbollah avec laquelle ils forment un axe de résistance face à la coalition Israélo-Américaine et aux militants anti Bachar Al Assad. De plus, le rôle d’approvisionnement d’armes en Syrie par l’Iran montre le souhait de préservation du régime syrien au pouvoir. Le soutien économique iranien va permettre au régime de Damas de résister aux multiples sanctions de l’ONU, en aidant l’acheminement du pétrole, d’électricité et d’approvisionnement pour les marchés locaux. L’Iran et la Syrie iront jusqu’à conclure un accord de libre-échange en décembre 2011. Enfin le soutien financier se fera par le transfert de milliards de dollars de Téhéran vers Damas.
L’implantation israélienne en Syrie
La guerre des Six Jours en 1967 a permis à Israël d’asseoir son autorité rapidement sur l’ensemble du Proche-Orient en contrôlant la région du Golan à travers l’acquisition de Jérusalem Est (reconnu par les Washington comme la capitale d’Israël le 6 décembre 2017), du Sinaï rendu par la suite à l’Égypte, de la Bande de Gaza et du plateau du Golan. Le plateau du Golan sera le coeur du conflit entre la Syrie et Israël, cette zone stratégique sous occupation israélienne depuis 1967 confère de nombreux avantages à Israël. Tout d’abord cette zone permet un contrôle et un quasi-monopole d’approvisionnement et d’acheminement des eaux vers Israël dans une région où les zones arides sont très présentes. Bien évidemment la stratégie militaire joue un rôle dans l’occupation de cette zone et elle aura deux aspects pour l’État d’Israël. Premièrement, un aspect défensif, où le plateau du Golan sera une nécessité pour Israël afin d’empêcher le régime syrien d’appuyer leur puissance sur l’État israélien, puis un aspect offensif car elle confère de multitudes options stratégiques, comme l’écoute du haut du Mont Hermont et une vue sur une partie syrienne.
De nombreuses négociations de paix vont être mises en avant par l’ONU telle que la résolution 242 de novembre 1967 ou encore 338 d’octobre 1973. Ces résolutions chercheront à mettre en place une « paix juste et durable au Proche Orient », des résolutions qui échoueront lamentablement. La résolution 242 sera compromise par une différence textuelle majeure entre la traduction française et anglaise, la première souhaitant le retrait « des » territoires occupés et la seconde « de » territoires occupés (« from occupied Territories »). La résolution d’octobre 1973 souhaitera mettre en place en 1974 une zone démilitarisée, néanmoins la multiplication des combats entre le gouvernement syrien et les combats de Daesh va entrainer la disparition des soldats préservant les conflits vers Israël. De plus les négociations pour demander le retrait des forces israéliennes jusqu’à la ligne du 4 juin 1967 auront un espoir d’aboutir avec Y. Rabin (1992 et 1995) avant son assassinat, puis avec S. Péris jusqu’en mai 1996 avant d’être battu aux élections par B. Netanyahu, ce dernier gèlera les négociations entre Syrie et Israël.
La Syrie comme théâtre de rapport de force entre l’Iran et Israël
Explicitement positionné au sein du conflit syrien, il va de soi que le pays cherche à protéger ses intérêts lorsqu’ils sont mis en péril. L’opposition forte entre l’Iran et Israël résulte dans l’esprit de ce dernier qui craint que le conflit syrien ne soit qu’un moyen pour le Hezbollah libanais et l’Iran de s’implanter militairement et approcher le plateau du Golan. Téhéran n’explique quant à elle sa présence sur le territoire syrien que par la volonté de lutter contre l’État islamique et non celle d’une destruction israélienne. L’escalade militaire dans cette région depuis plusieurs semaines voire mois est provoquée par le fait qu’Israël craint que la Syrie ne se transforme en une base militaire iranienne, ce qui engendrerait un contrôle iranien sur l’ensemble du territoire syrien. Selon B. Netanyahu une « ligne rouge » a été franchie par l’Iran en attaquant Israël depuis la Syrie, cette ligne positionnera davantage Israël dans ce conflit. Cette « ligne rouge » doit permettre d’empêcher Téhéran d’approvisionner le Hezbollah et la Syrie en armes et interdire d’approcher la ligne d’armistice signée en 1974 par Israël et l’Iran. L’État israélien cherche avant tout à limiter voire interdire la place de l’Iran en Syrie prenant en compte le fait que les États unis ont quitté la zone du Golan, une volonté de dissuasion qui est aujourd’hui vaine. L’Iran est aujourd’hui l’ennemi principal de l’État israélien alors que ce dernier se rapproche de son ennemi d’hier, le monde arabe sunnite à travers son leader, l’Arabie Saoudite.
L’appui des pays extérieurs au Proche Orient est déterminant: Tel-Aviv comptant sur Washington et Téhéran sur Moscou. Israël voit en la puissance des États unis le soutien massif à travers la mise en place de lobby tel que l’AIPAC aux États unis ayant pour but de soutenir la droite israélienne. Toutefois l’accord autrefois conclu entre Tel-Aviv et Moscou devant limiter la puissance iranienne n’est aujourd’hui plus d’actualité, en effet Moscou ne peut ou ne veut plus limiter les décisions, la puissance et les actions iraniennes sur le sol syrien. L’Iran se place ainsi comme une réelle menace pour Israël, entouré par un cercle chiite s’approchant de ses portes, ainsi elle n’intervient pas comme soutient mais seulement pour sa sécurité intérieure constituant à son sens la « ligne rouge ». Pour Téhéran il n’y a aucun intérêt à rechercher une confrontation israélo-iranienne directe néanmoins pour Tel- Aviv cette confrontation aura bien lieu tant que l’Iran n’aura pas quitté le sol syrien. À l’inverse pour Téhéran, Tel-Aviv aura joué un rôle essentiel dans la décision des États unis de se retirer de l’accord, mettant donc en péril la sécurité iranienne et accentuant l’instabilité au Proche-Orient.
Rayan Gadacha
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